Peut-on volontairement modifier le climat à des fins politiques et économiques ? Depuis les années 1970, des scientifiques s’y emploient à l’aide de technologies nouvelles : arbres artificiels, nuages « blanchis », miroirs réfléchissant le rayonnement solaire… Pour mieux en souligner les dangers, c’est cette géo-ingénierie climatique que décrivent Marine de Guglielmo Weber, chercheuse en environnement à l’Institut de recherches stratégiques de l’école militaire (Irsem), et le journaliste Rémi Noyon (1).
Guglielmo Weber rappelle par ailleurs que ces expériences ont commencé dès les années 1960, lorsque les États-Unis ont lancé au Vietnam l’opération secrète « Popeye », qui provoquait des pluies afin de ralentir les mouvements des combattants nord-vietnamiens (2). Aujourd’hui, de grandes institutions scientifiques comme la Royal Society de Londres s’intéressent à ces techniques. Mais ce sont surtout les entreprises multinationales du pétrole et du numérique qui préconisent d’aller dans cette direction. Elles y voient le moyen de limiter le réchauffement climatique, tout en restant dans le cadre du système capitaliste. De la même manière, les ultra-riches y trouvent une raison de ne pas remettre en cause leur mode de vie et l’usage de leurs jets personnels.
Concrètement, les apprentis sorciers du climat envisagent plusieurs interventions humaines : capturer le dioxyde de carbone par des technologies d’atténuation (abatment), installer des miroirs dans l’espace pour dévier les rayons du soleil, « éclaircir » les nuages marins en injectant du sel dans la troposphère afin de refroidir l’atmosphère. Leur imagination semble n’avoir aucune limite quand il s’agit de « tout changer pour que rien ne change ». Ils proposent ainsi de diminuer les rayonnements solaires en suscitant des nuages de poussière formant un « écran » protecteur pour la Terre, voire de créer un « anneau de poussière » autour de la planète pour la refroidir. Pourquoi dès lors ne pas stabiliser les glaciers par des « techniques d’ancrage », par l’utilisation de câbles ou de chaînes en acier ? Ou enfin « éclaircir » l’océan en épaississant l’écume marine par l’adjonction de microbulles ? La tendance aux manipulations de toutes sortes est dénoncée par tous ceux qui critiquent le capitalisme débridé, à l’instar de Naomi Klein, qui déplore depuis les années 2000 la « montée d’un capitalisme du désastre (3) ».
Ces techniques sont principalement conçues par des scientifiques américains comme l’astrophysicien Roger Angel, professeur à l’université d’Arizona, qui préconise ainsi de bloquer 1,8 % du rayonnement solaire grâce aux outils décrits plus haut. Il envisage même à cette fin de mettre en orbite un essaim de petits drones qui formeraient un parasol long de cent mille kilomètres, une technique très coûteuse et agressive pour l’atmosphère. Ces projets particulièrement perturbateurs de l’écosystème pourraient être payés en « financiarisant le vivant » (vente de forêts, création de banques de la biodiversité, de compensation d’émissions de gaz carbonique) et en captant de nombreuses aides publiques.
Face à ces menaces, les auteurs rappellent l’existence de la convention sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles (Enmod), adoptée par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU) en 1976 et entrée en vigueur en 1978. Ce traité, qui réunit 78 États, pourrait servir d’argument précieux aux défenseurs de l’environnement pour enjoindre aux gouvernements de tenir leurs engagements.
(1) Marine de Guglielmo Weber et Rémi Noyon, Le Grand Retournement. Comment la géo-ingénierie infiltre les politiques climatiques, Les Liens qui libèrent, Paris, 2024, 240 pages, 20 euros.
(2) Marine de Guglielmo Weber, Géopolitique des nuages, Bréal/Studyrama, Paris, 2025, 184 pages, 13,90 euros.
(3) Naomi Klein, La Stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre, Actes Sud, Arles, 2008, 590 pages.