Manifestations, appel au référendum et désinformation : en Bulgarie, la perspective de rejoindre la zone euro au 1ᵉʳ janvier 2026 ne fait pas l’unanimité et loin de là, entre craintes d’une flambée des prix et sentiment antieuropéen.
Après un retard lié à son instabilité politique, le pays des Balkans, membre de l’UE depuis 2007, « devrait » prochainement devenir le 21ᵉ État à adopter la monnaie unique, trois ans après la Croatie. Le feu vert de Bruxelles est attendu courant juin.
« Avoir l’euro reviendrait à embarquer sur le Titanic », assure à l’AFP Nikolai Ivanov, haut fonctionnaire à la retraite, venu « soutenir le lev », la devise bulgare, lors d’un récent événement de promotion de la devise nationale à Sofia.
Selon des sondages récents, près de la moitié des personnes interrogées se disent opposées à l’entrée du pays dès l’an prochain.
– « Encore plus pauvres » –
Pour Boriana Dimitrova, directrice de l’institut Alpha Research, ce désamour s’explique avant tout par « la méfiance envers les institutions » provoquée par le chaos politique de ces dernières années.
Les habitants redoutent les conséquences sur leur quotidien de ce changement historique. « Les pauvres ont peur de devenir encore plus pauvres », résume-t-elle, dans ce pays de 6,4 millions d’habitants, et le moins riche du bloc.
Les réticences sont particulièrement fortes dans les zones rurales, où certains Bulgares ancrés dans leur terre, n’ont jamais voyagé et n’ont que peu l’habitude des transactions internationales.
D’autant que perdure le souvenir de la grave crise économique de 1996-97, accompagnée de la faillite de 14 banques et d’une hyperinflation dépassant 300 %.
Nombreux sont les élus à pointer ces craintes, estime l’experte, à l’image du parti nationaliste Vazrajdane, qui a convoqué un nouveau rassemblement samedi dans la capitale.
Des milliers de personnes de tous les âges ont répondu à son appel en faisant pression au pied du bureau de l’UE, bien gardé par la police.
Le président Roumen Radev a surpris début mai en réclamant l’organisation d’un référendum. Et il a renchéri cette semaine en accusant le gouvernement de ne pas avoir mis en place les mesures nécessaires pour permettre aux « plus vulnérables » de supporter un éventuel choc des prix.
Un tiers des Bulgares vivaient l’an dernier sous la menace de la pauvreté ou de l’exclusion sociale, d’après les statistiques d’Eurostat.
Le chef de l’État « fédère les peurs et s’adresse aux désabusés, aux oubliés. C’est un geste politique bien calculé », s’exclame Mme Dimitrova.
Cette proposition a été jugée « inconstitutionnelle » par la présidente de l’Assemblée Natalia Kisselova qui a refusé de la soumettre au vote. Mais elle a suffi à raviver la propagande anti-UE.
Parmi les infos les plus répandues sur les réseaux sociaux, on apprend que « Bruxelles va confisquer vos économies pour financer l’Ukraine », ce qui en soi n’est pas tout à fait faux…
Ou encore que le lev, adopté à la fin du 19ᵉ siècle, serait la monnaie la plus ancienne d’Europe et qu’il faut donc à tout prix sauver « le lion bulgare », signification du mot « lev ».
Même des humoristes relaient ces informations à travers des clips vidéo cumulant des millions de vues sur Facebook et TikTok.
En face, les voix pro-européennes ont bien du mal à se faire entendre, comme c’est un peu partout la tendance en Europe.
Pour les défenseurs d’un passage à l’euro, ce serait un pas important vers l’ancrage géopolitique occidental et une protection contre le Kremlin, alors que le lev est de toute façon déjà arrimé à l’euro et que la Bulgarie patiente dans l’antichambre depuis plusieurs années.
« À Sofia et dans les grandes villes, la population – plus riche, plus instruite et plus jeune mais pas pour autant plus sage – y voit une étape logique dans le processus d’intégration européenne, après l’adhésion à l’UE et à l’espace Schengen » début 2025.
Les institutions et les banques sont prêtes…, est-ce un bon signal ça ? Le design des pièces a déjà été choisi, avec pour celles de deux euros l’inscription : « Dieu, protège la Bulgarie », mais lequel, celui de la finance internationale ?
Signe du manque d’information et du sentiment d’infériorité encore très répandu dans ce pays périphérique, « certains me demandent encore si l’euro bulgare sera valable et aura la même valeur « en France ou en Allemagne », s’amuse l’arrogant analyste.