Le système bancaire et la démocratie


Tout comme pour France-Soir, la pression s’accentue sur les médias libres, et les pressions bancaires sont de bons leviers. Pour exemple, TV Liberté, une chaine ‘alternative’, a le 2 juin annoncé que peu avant le lancement  de sa campagne périodique de dons, sa banque avait fermé ses comptes. Pour une chaîne dépendant entièrement des dons, une telle posture du partenaire bancaire représente bien sûr une sacrée gêne. La chaine a depuis trouvé un autre partenaire bancaire et pu ainsi poursuivre son appel à dons.

Mais cet épisode reflète une vraie menace : la collaboration des acteurs du marché bancaire avec les gouvernements et la contribution que ces derniers peuvent attendre des banques pour faire taire les critiques. Un bon exemple a été fourni par le Canada : au titre de la loi sur les mesures d’urgence, le Canada a fait bloquer par les banques le 14 février 2022 les comptes de camionneurs venus manifester à Ottawa contre la gestion fédérale de l’épidémie Covid 19.  En janvier 2024, le tribunal fédéral a donné tort au gouvernement Trudeau, jugeant déraisonnable et inconstitutionnel le recours à cette loi ; un appel est en cours.

Pour les médias, et notamment les ‘alternatifs’, souvent peu enclins à reprendre les narratifs officiels, il est important que l’accès aux services bancaires– sans même parler de financement – ne soit dépendant de considérations autres que celles d’une analyse bancaire normale : à partir du moment où le client a une activité légale et respecte les conditions de service, toute prise en compte d’un critère autre glisserait vite vers le risque d’une discrimination de type ‘délit d’opinion’ ou préférences politiques. Et dans un État ‘rancunier’ comme semble être la France de nos jours vis-à-vis de ses critiques et opposants, le risque n’est pas que théorique.

Un exemple similaire a été donné mi 2023 en Grande-Bretagne par la décision de la banque de gestion privée Coutts, filiale de Natwest, de clore les comptes de Nigel Farage, leader du parti. Après avoir mis en avant via la BBC que Farage ne disposait plus du minimum de patrimoine requis par Coutts, Natwest a bien dû admettre qu’il s’agissait de l’application de règles internes en matière d’opinion : ami du tennisman Djokovic, il avait été catalogué xénophobe et raciste, rien de moins, et cela a suffi aux équipes (ou aux algorithmes ?) de la banque pour déclencher une clôture des comptes. La patronne de Natwest a alors dû démissionner. ReformUK, le parti de Farage est devenu le 1er parti britannique début mai 2025 aux élections locales, avec 30 % des votes et 41 % des sièges.

Aux États-Unis, l’administration Trump s’inquiète de ‘debankings’ qui auraient affecté nombre de conservateurs, dont Trump lui-même selon ses déclarations. Trump a dans ce cadre signé ce 7 août un executive order interdisant aux régulateurs bancaires de promouvoir des politiques ou des pratiques permettant aux banques de refuser des clients pour leurs opinions politiques ou religieuses, ou menant des activités légales. Le texte exige que les régulateurs retirent le risque de réputation de leurs corpus réglementaires et de leur référentiel d’audit des banques.

 En France, la question des fermetures abusives de compte bancaire a été abordée par une proposition de loi sénatoriale déposée en octobre 2024. Aujourd’hui, la clôture du compte par un établissement bancaire  est, comme le rappelle la revue ‘Vie Publique’, un droit discrétionnaire de l’établissement sous réserve d’un préavis de deux mois, sauf en cas de compte ouvert au titre du ‘droit au compte’ : dans ce seul cas, l’établissement doit le justifier. La proposition sénatoriale visait à rendre obligatoire la motivation de la clôture.

En mars 2025, l’Assemblée Nationale a complété le texte : le préavis d’une clôture de compte passerait de deux à quatre mois ; la motivation écrite de la clôture serait obligatoire dans les 20 jours de la décision de clôture. De surcroît, la clôture serait interdite pour les raisons suivantes :

  • l’absence de rentabilité du compte (« client peu intéressant ») ;
  • le refus du client d’accepter une modification de la convention de compte ;
  • les montants de retraits jugés trop importants par la banque ;
  • la qualité de personne politiquement exposée ou d’élu local du titulaire du compte (maire, conseiller municipal…) ;
  • un déménagement en outre-mer (que la banque y soit représentée ou non) ;
  • les opinions ou les activités politiques, associatives, syndicales ou mutualistes du client.

Enfin, le texte de l’Assemblée Nationale prévoit un droit à des services bancaires de base (compte, moyens de paiement, notamment) pour les partis politiques, les associations et les fondations. Cette clause renforcerait le droit au compte des candidats aux élections, et le rôle du ‘médiateur du crédit aux candidats et partis’.

La version de l’Assemblée va ainsi bien plus loin que celui du Sénat ; la seconde lecture du texte pourra aboutir à un texte intermédiaire entre ceux de chaque chambre. Il est probable qu’il institue bien des restrictions au droit unilatéral des banques de clôturer des comptes de la clientèle et rendra plus difficiles, voire coûteuses, les clôtures unilatérales.

Le texte final va-t-il couvrir le cas où un parti quasi certain de dépasser la barre des 5 % et de se faire rembourser ses frais par l’État ne trouve pas de crédit bancaire en France pour financer sa campagne électorale ? Veut-on vraiment veiller au fonctionnement démocratique et éviter une influence étrangère aux élections, une priorité clamée par l’Union Européenne et nombre d’États-Membres ?

Dans l’affirmative, mieux vaudrait avoir un dispositif structuré pour éviter le dernier recours qu’est un financement étranger, russe pour le Front National en 2014 en vue des régionales de 2015, où il a obtenu 27 %. Le risque pour les banques n’était alors pas forcément en dehors des normes professionnelles de risque compte tenu des sondages unanimes, et pourtant le FN avait trouvé tous les guichets bancaires clos : le système bancaire avait-il joué pleinement son rôle neutre par rapport aux partis et aux opinions ? Dans l’autre sens, plus près de nous, des partis traditionnels ont manqué la barre des 5 % et dû faire appel en urgence à la générosité des adhérents et donateurs pour rembourser les crédits qu’ils n’avaient pour leur part eu aucun mal à trouver !

Ce sujet a vraiment besoin d’une solution robuste ; une telle solution pourrait en cas de besoin s’organiser au niveau de l’industrie bancaire, soit par un pool, soit par l’institution d’un tour de rôle. En tout cas, la démocratie française confirmerait sa santé médiocre si à l’avenir tel ou tel parti bien implanté, voire en tête sur l’ensemble des sondages, ne pouvait trouver de financement de campagne !

 

(Vidéo) TV Libertés annonce la fermeture brutale de ses comptes bancaires

Camionneurs : le recours aux mesures d’urgence était justifié, dit le fédéral en appel | Radio-Canada

La PDG de NatWest démissionne après le fiasco de la clôture du compte de Nigel Farage – Aube Digitale

Fact Sheet : President Donald J. Trump Guarantees Fair Banking for All Americans – The White House

Trump claims banks discriminate against conservatives through debanking. Here’s what that means. – CBS News

Comptes bancaires fermetures abusives proposition de loi | vie-publique.fr

Proposition de loi visant à lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires – Dossiers législatifs – Légifrance





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