Beaucoup de pluie et des températures (trop) douces… Les conditions de ce printemps sont idylliques pour le moustique tigre. « L’éclosion des œufs survient à partir de 15-20 °C. Nous avons observé les premières larves dans le secteur de la région lyonnaise », confirme Christophe Bras, responsable du pôle santé-environnement au sein de la Fredon Auvergne-Rhône-Alpes, un réseau chargé de gérer les espèces nuisibles.
Ce moustique, qu’on trouve essentiellement près des habitations, a débarqué en France en 2004. Vingt ans plus tard, Aedes albopictus, son nom scientifique, s’est implanté sur tout le territoire métropolitain, y compris en Normandie, région jusque-là épargnée.
« Apprendre à vivre avec lui »
« Outre qu’il peut transmettre certaines maladies vectorielles, comme Zika, la dengue ou le chikungunya, les nuisances liées à ses piqûres tout au long de la journée sont très dures à vivre, reconnaît Christophe Bras. Il faudra pourtant apprendre à vivre avec lui, on ne peut pas l’éradiquer. » Partout en France, les collectivités sont confrontées — ou le seront d’ici peu — à ce désagréable, voire dangereux, envahisseur. Garants de la sécurité et de la salubrité publique, les maires se trouvent souvent démunis face aux plaintes des habitantes et habitants. Ou font les mauvais choix.
Interpelé lors d’une rencontre en distanciel avec des habitants, Philippe Buisson, maire de Libourne (Gironde), reconnaissait ainsi le 2 avril avoir eu tort d’investir près de 400 000 euros dans l’installation de bornes antimoustiques sur l’espace public de la ville : « Ça n’apporte pas pleinement satisfaction. Des gens qui vivent à côté de ces bornes ne voient pas la différence ! »
Ces dispositifs émettent du CO2 afin de simuler la présence d’un corps humain. Le moustique tigre s’approche, puis est aspiré par un petit ventilateur et se trouve piégé dans un filet. À Libourne, les bornes utilisées sont équipées d’un capteur optique qui cible uniquement les moustiques femelles, assure le fabricant. « Ce type de pièges comporte plusieurs inconvénients, estime Francis Charlet, président de l’Association ciotadenne contre Aedes albopictus (Acca) qui œuvre depuis 2016 à La Ciotat. D’une part, ces bornes nécessitent généralement une alimentation électrique, on ne peut pas les installer où l’on veut. D’autre part, certains modèles ne piègent pas que des moustiques, mais aussi d’autres insectes. »
Lutter contre la larve, plutôt que l’adulte
De plus en plus de communes installent ou distribuent à leurs habitants des pièges à femelles gravides (souvent appelés à tort “pièges pondoirs”). C’est le cas à Toulouse où, cette année, la mairie va expérimenter cette méthode en équipant gratuitement 500 foyers dans deux quartiers. Il s’agit d’attirer avec un peu d’eau croupie les moustiques tigres femelles à la recherche d’un lieu de ponte. Une fois entrées dans le récipient, elles ne peuvent plus ressortir.
« Le souci est de trouver le bon endroit pour positionner ces pièges, juge Francis Charlet. Il faut les installer dans un lieu de vie des moustiques, c’est-à-dire plutôt à l’ombre et à l’abri du vent, que le moustique n’apprécie guère. » La Ciotat utilise différents types de pièges, mais pour le président de l’Acca, « leur efficacité reste à démontrer ».
Tous les experts contactés s’accordent à dire que les pièges ne suffisent pas à eux seuls, et que la priorité est d’agir lors de la phase larvaire. « Si on ne gère pas les gîtes larvaires en amont, la lutte contre les adultes, beaucoup plus difficile, ne sert à rien », avertit Christophe Bras.
« Nous commençons à traiter les quatre-vingts sites larvaires que nous avons identifiés à Toulouse, explique à Reporterre Françoise Ampoulange, élue en charge de l’animal dans la Ville rose. Fontaines, bassins… partout où l’eau peut stagner, les agents de la ville procèdent à un traitement biocide à base de bacille de Thuringe (BTI) qui agit sur les larves. » Les traitements BTI, réservés à un usage professionnel et ne présentant a priori pas de risques pour « les organismes non cibles » selon les autorités sanitaires, peuvent être utiles dans les lieux d’eau stagnante difficiles d’accès. Mais dans la plupart des cas, des gestes simples suffisent.
Former élus et agents techniques
En Auvergne-Rhône-Alpes, les municipalités peuvent être accompagnées par la Fredon et l’Entente interdépartementale de démoustication (EID) Rhône-Alpes, grâce au financement de l’Agence régionale de santé (ARS) et de certains conseils départementaux. « Notre rôle consiste d’abord à former un correspondant élu et un agent technique de la ville ou de la collectivité à gérer les espaces publics, que ce soit les parcs et jardins, les cimetières, les bâtiments publics. L’objectif est qu’ils puissent neutraliser eux-mêmes tous les gîtes larvaires [les sites de ponte] », explique Christophe Bras.
La Fredon et l’EID aident à identifier les zones favorables aux gîtes larvaires sur le territoire de la commune, proposent un plan d’action, accompagnent techniquement pendant un an et font un suivi sur la durée dans certaines zones. Les deux structures ont également élaboré un guide technique à l’adresse des collectivités avec des retours d’expérience : nettoyage des chéneaux des bâtiments publics, suppression des plantes avec des feuilles qui retiennent l’eau, mise à l’abri du matériel d’entretien de la commune, mise à disposition de sable dans le cimetière pour les soucoupes et vases, etc. « Les résultats de cet accompagnement intense sont toujours difficiles à évaluer, mais on a des retours plutôt positifs, avec un ressenti d’une diminution des nuisances », constate Christophe Bras.
Ailleurs, les ARS ont délégué ce travail de formation à des acteurs privés ou à des associations : Altopictus, une entreprise spécialisée dans la surveillance et la lutte contre le moustique tigre, intervient par exemple dans trente-deux départements dans les régions Occitanie, Nouvelle-Aquitaine, Bretagne et Grand Est ; Graine Occitanie mobilise, quant à elle, depuis 2018 son réseau d’associations d’éducation à l’environnement et au développement durable dans le cadre de l’opération Piktro.
Le moustique tigre n’est pas un grand voyageur
Malgré tout, les communes se heurtent à certains obstacles. « Il y a des endroits où il est plus compliqué d’agir, soulève Christophe Bras. C’est par exemple le cas des zones d’habitat collectif avec un toit-terrasse quand les copropriétaires ou les bailleurs ne s’impliquent pas. Heureusement, certains syndics commencent à réagir. » À La Ciotat, l’Acca se félicite que le nouveau Plan local d’urbanisme (PLU) de la ville impose une pente de 2 à 3 % pour les toits-terrasse des nouvelles constructions. « On crée nous-même des lieux de reproduction, se désole encore Francis Charlet, son président. On a un vrai problème par exemple avec les terrasses sur plots, installées sur une dalle de béton. »
Philippe Buisson, maire de Libourne, le disait à ses administrés : « Il faut accepter le fait que le combat doit être mené dans les espaces privés. » Autrement dit, même si la ville met tout en œuvre dans les espaces publics, les habitants continueront à se faire piquer s’ils ne gèrent pas leur propre jardin, cour, terrasse ou balcon. C’est d’autant plus vrai que le moustique tigre n’est pas un grand voyageur : il s’éloigne très peu de son lieu d’éclosion, au grand maximum dans un rayon de 150 m. Et qu’il peut se reproduire dans un très petit volume d’eau.
Françoise Ampoulange, élue de Toulouse, insiste aussi : « Prévenir le moustique tigre, c’est l’affaire de tout le monde. Il ne faut pas attendre de la mairie qu’elle fasse des pulvérisations. Ce n’est pas la solution, sans compter que c’est dangereux pour l’environnement. » Aujourd’hui, seule l’ARS peut décider d’une pulvérisation d’insecticide pour tuer des moustiques adultes et elle ne le fait que dans un seul cas : quand une arbovirose (dengue, Zika ou chikungunya) est détectée et que le virus risque d’être transmis à de nouvelles personnes via la piqûre d’un moustique tigre.
La balle serait donc avant tout dans le camp des habitantes et des habitants. Aussi le plus gros travail des mairies aujourd’hui est de les sensibiliser. Là encore, elles disposent de nombreux outils et peuvent se faire accompagner. Stands d’information, réunions publiques, panneaux d’affichage, porte-à-porte… Tous les moyens sont bons pour inciter à vider ses pots, mettre du sable dans les soucoupes, ranger les jouets des enfants à l’abri, installer une moustiquaire sur le récupérateur d’eau, etc.