• lun. Mai 20th, 2024

Narendra Modi, une autre idée de la démocratie, par Christophe Jaffrelot (Le Monde diplomatique, avril 2024)

ByVeritatis

Avr 15, 2024


Dossier : Inde, l’envers d’une puissance

Depuis son arrivée au pouvoir, il y a dix ans, le premier ministre Narendra Modi opère une rupture avec le projet séculariste imaginé par les pères de la Constitution indienne. Cette évolution se caractérise par une ethnicisation de la démocratie et par l’émergence d’une forme d’autoritarisme qui sape l’ensemble des institutions.

JPEG - 209.6 ko

Dhruvi Acharya. — « Underwater Smog » (Smog sous-marin), 2023

Le succès électoral de M. Narendra Modi depuis 2014 repose sur la combinaison inédite d’un style populiste et de l’hindutva. Ce mouvement nationaliste hindou a pour matrice le Rashtriya Swayamsevak Sangh (Corps des volontaires nationaux, RSS), une organisation paramilitaire née en 1925. Son projet : muscler les jeunes hindous tant au plan physique qu’au plan moral pour « résister » aux musulmans, accusés de menacer la majorité.

M. Modi rejoint le RSS enfant, consacre sa vie au mouvement (au point de ne pas habiter avec son épouse et de n’embrasser aucune carrière professionnelle) : il en gravit tous les échelons, jusqu’à devenir le principal dirigeant au Gujarat, sa province d’origine, où il prend la tête du gouvernement en 2001. L’année suivante, il préside à un pogrom antimusulman qui fait environ deux mille victimes — une stratégie de polarisation religieuse lui permettant de remporter les élections régionales en décembre 2002. Après qu’il connaît des succès comparables en 2007 et en 2012, il s’impose en 2014 comme le candidat naturel de sa formation, le Bharatiya Janata Party (Parti du peuple indien, BJP), au poste de premier ministre.

Mais M. Modi rompt avec l’accent mis par le RSS sur la discipline collégiale. Il se met en avant et s’emploie à entrer directement en relation avec « son » peuple : plutôt que de s’en remettre au réseau des militants, il multiplie les meetings où il déploie son art oratoire. Il crée sa propre chaîne de télévision, fait un usage assidu des réseaux sociaux et recourt même à une technique révolutionnaire : les hologrammes, qui lui permettent de prononcer le même discours en des centaines de lieux au même moment. Mieux encore, il distribue des masques à son effigie, permettant à ses partisans de s’identifier davantage. Il sature ainsi l’espace public de manière à incarner le peuple — avec d’autant plus d’aisance qu’il en est lui-même issu —, mais limité à la majorité hindoue, qu’il dresse contre une cible : les musulmans.

Ceux qui refusent la (…)

Taille de l’article complet : 1 674 mots.

Cet article est réservé aux abonnés

Lycées, bibliothèques, administrations, entreprises,
accédez à la base de données en ligne de tous les articles du Monde diplomatique de 1954 à nos jours.
Retrouvez cette offre spécifique.

Christophe Jaffrelot

Directeur de recherche au Centre de recherches internationales (CERI), Sciences Po – Centre national de la recherche scientifique (CNRS), auteur de L’Inde de Modi. National-populisme et démocratie ethnique (Fayard, Paris, 2019) et de Modi’s India. Hindu Nationalism and the Rise of Ethnic Democracy (Princeton University Press, 2021).



Source link

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *