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Les Russes pourraient-ils s’emparer du Congrès ?

ByVeritatis

Avr 17, 2024


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par Patrick Lawrence

Les Russes débarquent, ponctuellement, depuis plus de soixante-dix ans. Si ces fantasmes sont risibles, les conséquences de la culture de la peur en temps de guerre froide le sont nettement moins.

Les Russes arrivent – ou reviennent, pour mieux dire.

Alors que les élections de novembre approchent, préparons-nous à un nouveau déluge de propagande grotesque selon laquelle les Russes empoisonnent nos esprits avec de la «désinformation», de «faux récits» et autres appellations trompeuses déployées lorsque les faits contredisent l’orthodoxie libérale autoritaire.

Nous avons eu un avant-goût de cette nouvelle série de mensonges et d’insinuations à la fin du mois de janvier, lorsque Nancy Pelosi, la démocrate californienne qui a occupé le poste de présidente de la Chambre des représentants pendant bien trop longtemps, a affirmé que le FBI devrait enquêter sur les manifestants qui réclament un cessez-le-feu à Gaza en raison de leurs liens, oui, indéniablement, avec le Kremlin.

Voici ce qu’a dit Mme Pelosi lors de l’émission «State of the Union» sur CNN, le 28 janvier :

«Leur appel à un cessez-le-feu est un message de M. Poutine. Ne vous y trompez pas, c’est directement lié à ce qu’il aimerait bien voir se produire. Même chose pour l’Ukraine…. Je pense que certains financements devraient faire l’objet d’une enquête. Et je vais d’ailleurs demander au F.B.I. d’enquêter sur ce point».

D’accord, voici le schéma : si vous dites quelque chose qui coïncide avec la position russe, vous serez accusé de dissimuler vos «liens avec la Russie», selon l’expression consacrée.

Attention à ne pas mentionner, un jour de printemps où le ciel est délicieusement bleu : C’est exactement ce que «Poutine», désormais privé de prénom et de titre, «aimerait».

Il y a toujours une arrière-pensée quand ceux qui détiennent le pouvoir tentent ce genre d’escroquerie. Dans tous les cas, ils ont quelque chose à justifier.

En 2016, c’était la défaite d’Hillary Clinton dans les urnes, qui nous a valu quatre années de Russiagate. Pelosi s’est ainsi sentie obligée de discréditer ceux qui s’opposaient au génocide israélo-américain à Gaza.

Merci au Congrès et à Biden, votre aide est bien arrivée ! Manifestation contre le
génocide israélien sur la Freedom Plaza, Washington, D.C., 4 novembre 2023.

Aujourd’hui, une nouvelle ruse se profile. Désespérés d’obtenir du Congrès une nouvelle aide de 60,1 milliards de dollars à l’Ukraine, les bellicistes du Capitole accusent ceux qui s’opposent à cette mauvaise dotation d’être… dois-je finir la phrase ?

Il y a deux semaines, Michael McCaul, un représentant républicain qui souhaite que le projet d’aide, bloqué depuis longtemps, soit adopté, a affirmé dans une interview accordée à Puck News que la propagande russe a «infecté une bonne partie de la base de mon parti». Voici comment ce stupide député du Texas, cité par le Washington Post, développe le thème désormais familier :

«De plus en plus d’émissions de divertissement nocturnes semblent diffuser de la propagande russe, et c’est presque la même chose sur nos ondes. Ces gens qui lisent diverses publications sur les théories du complot qui ne sont tout simplement pas exactes, et reprennent en fait la propagande russe».

J’ai lu dans le Post que l’équipe de McCaul a brusquement interrompu l’interview lorsque Julia Ioffe, une russophobe professionnelle qui passe d’une publication à l’autre depuis des années, lui a demandé de citer quelques noms.

C’est ainsi que ce nouveau bobard a été mis en branle.

Une semaine après l’interview de McCaul par Puck News, Michael Turner, un républicain de l’Ohio qui, en tant que président de la commission du renseignement de la Chambre des représentants, dispose de plus de pouvoir, a aggravé la situation lorsque, réagissant aux déclarations de McCaul, il a rapporté que cette grave infiltration russe était évidente dans les hautes sphères du gouvernement américain, comme l’a une nouvelle fois rapporté le Washington Post :

«C’est tout à fait exact. Nous voyons la Russie tenter de camoufler des communications contenant des messages anti-Ukraine et pro-Russie, dont certains sont même prononcés à la Chambre des représentants».

Des communications maquillées prononcées sur le parquet de la Chambre des représentants : retenez l’idée, car j’y reviendrai bientôt.

Restitution de VOA

La palme revient, pour l’instant en tout cas, à Voice of America, la façade de la Central Intelligence Agency qui se fait passer pour une station de radio, et a publié la semaine dernière un article intitulé «How Russia’s disinformation campaign seeps into U.S. views» [Comment la campagne de désinformation russe s’infiltre dans l’opinion publique des États-Unis]. Même thème : les Rrrrrusses empoisonnent le discours américain, par ailleurs virginal, dans le but de bloquer l’autorisation du projet de loi d’aide, qui comprend également un budget alloué à Israël (14,1 milliards de dollars) et à Taïwan (4 milliards de dollars).

Pour enfoncer le clou, VOA cite un lobbyiste nommé Scott Cullinane, qui travaille pour une organisation appelée Razom, qui signifie «ensemble», en ukrainien. Razom est une organisation non gouvernementale «créée en 2014 pour soutenir les Ukrainiens dans leur quête de liberté». La création de Razom a donc coïncidé avec le coup d’État orchestré par les États-Unis à Kiev en février 2014.

18 février 2014 : Des manifestants lancent des briques sur les troupes ukrainiennes,
cachés par la fumée de pneus enflammés à Kiev.

Razom travaille avec diverses ONG ukrainiennes pour faire avancer cette cause et me semble être un des acteurs du bon vieux stratagème société civile-subterfuge, bien qu’on ne puisse en être sûr car, sur son site web et dans ses rapports annuels, elle ne dit pas, comme d’habitude dans ce genre de cas, qui la finance.

Voici un extrait du rapport de VOA sur les récentes activités de Cullinane au Capitole :

«Scott Cullinane s’entretient presque quotidiennement avec des membres du Congrès au sujet de la guerre de la Russie en Ukraine. En tant que lobbyiste pour l’organisation à but non lucratif Razom, une partie de son travail consiste à les convaincre que l’Ukraine a besoin d’un soutien accru des États-Unis pour survivre».

Mais alors que les législateurs débattaient d’un plan de 95 milliards de dollars comprenant environ 60 milliards de dollars d’aide à l’Ukraine, Cullinane a constaté une augmentation des récits dénonçant la corruption ukrainienne. Ce qui est frappant, c’est qu’il s’agit des mêmes points de discussion que ceux véhiculés par la désinformation russe.

Aussi, lorsque le Washington Post a publié une enquête sur une vaste campagne russe coordonnée visant à influencer l’opinion publique américaine pour qu’elle refuse l’aide à l’Ukraine, Cullinane a déclaré qu’il n’était pas surpris.

«Ce phénomène couve et s’amplifie depuis des années», a-t-il déclaré à la VOA. «Je pense que la meilleure chance de victoire pour la Russie n’est pas sur le champ de bataille, mais par le biais d’opérations d’information ciblées sur les capitales occidentales, y compris Washington».

A priori, il n’y a pas eu d’«enquête» du Washington Post. Le Post s’est contenté de citer deux membres paranoïaques du Congrès sans prendre la peine de s’interroger, et encore moins d’enquêter, sur la véracité de leurs assertions.

En outre, la question de la corruption ukrainienne est un autre exemple de ciel bleu. Il n’est pas question d’«alléguer» la corruption du régime de Kiev : elle est abondamment documentée, entre autres par Transparency International, qui classe l’Ukraine parmi les nations les plus corrompues du monde.

Vous voyez ce qui se trame ici ? Voilà une belle chambre d’écho, dont les propagandistes ne cessent de se délecter.

Puck News, une publication web sans grand intérêt, publie l’interview d’un journaliste belliciste avec un membre du Congrès belliciste, dont le Washington Post fait état, puis un autre membre du Congrès appuie les affirmations du premier, le Post en fait état, et enfin VOA se joint à la procédure pour rapporter que ces faits bien établis et incontestables sont de la désinformation russe.

Et les échos de se multiplier, comme les ondes dans un étang lorsqu’on y jette un caillou. Voici comment Tagesspiegel, un quotidien berlinois dont la russophobie remonte à sa création pendant l’occupation américaine après la Seconde Guerre mondiale, a rendu compte du projet de loi sur le financement de l’aide immédiatement après le reportage de VOA :

«La controverse sur cette aide, déjà adoptée par le Sénat américain, se répercute dans de nombreux messages sur les réseaux sociaux et dans des articles sur des sites d’information. Comme le rapporte le Washington Post, un protagoniste a joué un rôle décisif dans cette affaire : le gouvernement russe».

Quand la propagande est reine, force est de constater que ce qui circule ne cesse de circuler.

On peut se contenter de rire de cette affaire minable, aussi transparente et planifiée soit-elle. Sauf que ce genre d’escroquerie a une longue histoire, et que nous apprenons que les Russes sont venus, par intermittence, pendant plus de sept décennies. Nous apprenons également que les conséquences de ces fantasmes sont loin d’être drôles.

Lorsque j’ai décidé d’écrire le livre publié à l’automne dernier sous le titre «Journalists and Their Shadows», explorer le passé était indispensable au projet. Si nous voulons comprendre la «pagaille dans la presse», que j’appelle la crise actuelle de nos médias, il nous faut d’abord comprendre comment nous en sommes arrivés là.

Le président Harry Truman en 1948. (Archives nationales)

Au cours de mes recherches sur l’anticommunisme débridé des premières années de la guerre froide, je suis tombé sur un long article du magazine Look publié le 3 août 1948 sous le titre «Les rouges pourraient-ils s’emparer de Détroit ?» Cet article était emblématique de son époque.

«Détroit est le cœur industriel de l’Amérique», commençait l’auteur. «Aujourd’hui, une faucille est en train de s’affûter pour se planter dans ce cœur…. Les Rouges poursuivent leurs activités avec audace».

Avant qu’il ne termine, James Metcalfe – que ce nom soit bien noté – qualifie la prétendue attaque sur Motor City de «premier assaut de grande envergure, à la manière d’un blitzkrieg». La description met en scène des communistes masqués qui assassinent des policiers et des opérateurs téléphoniques, s’emparent des aéroports, font sauter les ponts, les réseaux électriques, les lignes de chemin de fer et les autoroutes.

«Happées par la folie du moment, enhardies par l’obscurité, enivrées par un permis débridé de tuer et de piller, les foules vont déferler dans les rues».

Des foules communistes, bien sûr.

Il est facile d’en parler aujourd’hui avec une pointe de dérision et de mépris. Mais avons-nous de bonnes raisons de le faire ? En va-t-il vraiment autrement aujourd’hui ?

L’article de Look comportait des menaces implicites. Il publiait le fantasme paranoïaque de Metcalfe un an et quelques mois après que le président Harry Truman eut prononcé son célèbre discours «Faire peur au peuple américain» devant le Congrès en mars 1947. Look recrutait en quelque sorte le public au moment où l’administration Truman lançait la croisade de la guerre froide.

Les représentants McCaul et Turner mènent une campagne de sensibilisation du même type. Ils ne se racontent pas d’histoires dans le cadre d’une quelconque tentative de nettoyage du Congrès. Ne vous attendez pas à ce qu’ils lèvent le petit doigt à ce sujet. Ils nous mentent, à vous et à moi, dans ce qui s’apparente à une opération alarmiste.

Et le danger cette fois-ci est le même que la fois précédente. Il s’agit de cultiver un climat de peur dans lequel le public américain doit acquiescer à la nouvelle guerre froide et à la violation de toutes sortes de lois et de droits constitutionnels.

Vendredi dernier, la Chambre des représentants a réautorisé, pour deux années supplémentaires, la loi connue sous le nom de Section 702, qui permet à la cabale du renseignement de surveiller les communications numériques des Américains – sans mandat et sur le sol américain – en prétendant cibler des étrangers soupçonnés d’activités subversives.

Quel est le lien entre tout cela et la façon dont les paranoïaques du Capitole, les journalistes du Washington Post et les propagandistes professionnels de VOA abordent actuellement la question de leur aide financière et militaire à l’Ukraine ?

Aucun. Et pourtant si.

source : Consortium News

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