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Loin du « foot business », par Fabrice Szabo (Le Monde diplomatique, mai 2024)

ByVeritatis

Mai 6, 2024


Il est tonifiant d’envisager le sport à rebours du star-système à quelques mois des Jeux olympiques de Paris. C’est la perspective choisie par l’historien Fabien Archambault, et qu’il illustre par le récit de onze matchs de football célèbres ou oubliés (1). De Calcutta à Vienne, de Bâle à Paris, c’est en suivant le ballon rond que nous parcourons l’empire colonial britannique, ou que nous honorons la mémoire de Matthias Sindelar, attaquant de génie, Juif autrichien d’origine austro-hongroise qui refusa de se plier au diktat d’Adolf Hitler. De l’affrontement irlandais au front russe de 1942, les conflits se déclinent aussi sur le rectangle vert. Il n’est pas nécessaire d’être adepte du jeu à onze pour parcourir avec plaisir ces pages, ne serait-ce que pour le bonheur de croiser Pier Paolo Pasolini.

Sous la direction de David Lortholary et Nicolas Vilas, des plumes passionnées d’un football aujourd’hui marginalisé entreprennent de décentrer le regard sur ce sport, le plus puissant de tous financièrement (2). Si la couverture médiatique et le partage des titres comme des rentes se réduisent aujourd’hui à un nombre limité de clubs issus du « Big Five » (Allemagne, Angleterre, Espagne, France et Italie), c’est que la décennie qui s’ouvrit en 1989 remania profondément ce sport en Europe. La chute du mur de Berlin et la dislocation de l’ex-Yougoslavie conduisirent au naufrage des championnats des pays socialistes. Un jour figures de proue nanties des régimes, le lendemain réduits à des expédients, parfois gangrenés par la corruption, des monuments comme le Steaua Bucarest ou l’Étoile rouge de Belgrade ne sont plus que l’ombre de leur passé glorieux. En 1995, l’arrêt dit « Bosman » consacra la libéralisation du marché des transferts, et ce fut un tournant majeur pour le football professionnel européen. Les clubs portugais ou d’Europe de l’Est ont ainsi quasi disparu du paysage du dernier carré de la Ligue des champions, compétition-phare. Voir une équipe roumaine défier et vaincre le FC Barcelone à l’occasion d’une finale européenne en 1986 ne constituerait plus une surprise, mais une incongruité : la dure loi du marché ne permet plus telle folie.

Que la pratique du sport ne se réduit pas au spectacle, c’est ce qu’a montré, sur le campus Condorcet d’Aubervilliers, une belle exposition récente, organisée par le Centre d’histoire sociale des mondes contemporains (CHS), aujourd’hui relayée par son catalogue en ligne (3). Se posant en contrepoids aux organisations patronales ou confessionnelles, des militants du mouvement social, associatif et syndical, de Léo Lagrange à Germaine Bach, de Paschal Grousset à Lucienne Richard, parmi tant d’autres, voulurent démocratiser le sport et en faire un instrument d’émancipation. Préférence pour l’amateurisme, adaptation des règles sportives afin de limiter la violence ou les pratiques dangereuses, compétitions alternatives comme le Paris-Roubaix ouvrier ou les Olympiades populaires de Barcelone en 1936… Telles furent les options et les réalisations de ces figures, puisées dans Le Maitron. Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et du mouvement social, mises en images par le dessinateur Fred Sochard.

Bien plus qu’une story Instagram, ces différentes publications rappellent que le sport est à la fois une affaire démocratique, un élan populaire et une école d’humanité.



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