• dim. Mai 19th, 2024

les pubs de Tefal frisent la « désinformation »


Au premier plan, une poêle remplie de nouilles sautées, regardées avec gourmandise par une jeune femme souriante. En bas à droite, le logo de la marque Tefal. Au-dessus, dans une police écarlate grignotant la moitié de l’image, cette affirmation : « Nos revêtements antiadhésifs sont reconnus comme étant sûrs. » Un dessin de poêle en remet une couche, nous invitant à découvrir « pourquoi c’est sûr » en cliquant sur un QR code.

Depuis quelques jours, les affiches de ce type fleurissent aux arrêts de bus des grandes villes. Étrillée depuis plusieurs semaines par des écologistes — au premier rang desquels l’activiste Camille Étienne — pour son recours aux polluants éternels (ou PFAS) dans le processus de fabrication de ses poêles antiadhésives, Tefal a décidé de contre-attaquer. Avec une présentation incomplète de la réalité.

La marque dédie une section entière de son site — accessible dès la page d’accueil — au polytétrafluoroéthylène (ou PTFE, pour ceux qui n’aiment pas jouer au Scrabble), le fluoropolymère dont ses poêles sont faites. La substance, qui appartient à la grande famille des polluants éternels, ne « présente pas de danger », « même en cas d’ingestion accidentelle », y est-il répété. Au milieu des photos de pommes de terre sautées et d’œufs au plat, une vidéo chante les louanges de ce matériau « inerte et biocompatible, spécialement approuvé pour le contact alimentaire ». « Les autorités sanitaires européennes et internationales ont toutes reconnu son innocuité », susurre une voix chaude sur un fond musical guilleret.

L’entreprise tenterait-elle de noyer le poisson ? « C’est une présentation tronquée de la réalité, expliquait il y a quelques semaines à Reporterre Pierre Labadie, chimiste et directeur de recherche au CNRS. C’est vrai dans le sens où pendant la phase d’utilisation du PTFE, dans votre poêle par exemple, c’est un composé inerte qui ne va pas réagir avec l’organisme. » Autrement dit, en l’état actuel des connaissances scientifiques, cette substance n’est pas dangereuse pour la santé humaine. « Mais s’arrêter à ça, c’est assez problématique, parce que ça n’englobe pas toute la réalité du PTFE , poursuivait le chercheur. Il faut dézoomer, et considérer l’ensemble de son cycle de vie. »

Tefal n’utilise plus de Téflon… mais un revêtement en PFTE, un polluant éternel.

Des polluants éternels dans l’atmosphère

Produire du PTFE peut en effet impliquer d’utiliser d’autres PFAS en tant qu’émulsifiants. Ces derniers servent de liant : de manière très imagée, on pourrait les comparer au jaune d’œuf dans une mayonnaise. Parmi les plus connus, on trouve le GenX et l’Adona, une substance jugée « prioritaire » par la Commission européenne. Ces composés peuvent finir dans l’environnement au terme de la synthèse du PTFE, alerte une étude publiée en 2020 dans la revue Environmental Science and Technology.

« Pour enduire des revêtements métalliques [comme dans une poêle], il faut faire chauffer le PTFE à des températures qui sont suffisantes pour provoquer une dégradation dans de petites proportions et former des composés problématiques, poursuit Pierre Labadie. S’ils ne sont pas captés, contrôlés et piégés, ils peuvent être émis vers l’atmosphère. »

Tefal certifie ne pas utiliser de PFOA, un polluant éternel effectivement classé « cancérogène pour les humains » et interdit dans l’Union européenne depuis 2020.
Capture d’écran/Tefal

Des PFAS peuvent, enfin, être relargués dans l’environnement lors de la mise au rebut des poêles contenant du PTFE. Une revue de littérature publiée fin 2023 par l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) souligne qu’une douzaine de ces composés ont été émis lors de la combustion de produits contenant du PTFE à 870 °C pendant quelques secondes — soit les « conditions typiques d’incinération d’ordures ménagères ». Les scientifiques ont notamment retrouvé du PFOA, un polluant éternel ultra-toxique à l’origine d’un scandale sanitaire aux États-Unis, au début des années 2000. Contacté le 3 mai, Tefal n’a pas répondu aux questions de Reporterre.

« Son argumentaire ne tient pas »

En omettant ces éléments, Tefal flirte avec la « désinformation », juge Pauline Cervan, docteure en pharmacie et toxicologue au sein de l’association Générations futures. « Elle se focalise seulement sur la phase d’utilisation. Mais pour pouvoir dire si une substance chimique est néfaste ou non, il faut étudier l’ensemble de son cycle de vie, de sa fabrication à son élimination, insiste-t-elle auprès de Reporterre. Il n’y a qu’à constater l’état de la pollution autour de [l’usine Tefal de] Rumilly [en Haute-Savoie] pour se rendre compte que son argumentaire ne tient pas. »

En avril, Stanislas de Gramont, le directeur général de SEB (la maison mère de Tefal), avait admis auprès de Reporterre — après moult demandes — que les procédés de fabrication de ses poêles antiadhésives « [pouvaient] avoir des rejets » de polluants éternels. « Mais on les traite, sous forme aqueuse et gazeuse », nous avait-il assuré.

L’Agence régionale de santé (ARS) d’Auvergne-Rhône-Alpes indique pourtant que les rejets courants de l’usine Tefal de Rumilly contiennent « actuellement » des PFAS. Entre janvier et mars 2023, trois PFAS (dont l’Adona) ont été détectés dans les rejets d’eaux usées en sortie de station d’épuration. Des PFAS ont également été identifiés lors de contrôles inopinés des eaux résiduaires de Tefal, en septembre 2022 et juin 2023. « Des captages d’eau potable ont même dû être fermés parce qu’ils étaient trop contaminés, dénonce Pauline Cervan. Ça, bien sûr, ils ne vont pas le mettre sur leurs affiches. »

Selon la toxicologue, la campagne mise en place par l’entreprise est un signe de sa « fébrilité » : « Ils sentent que leur image est en train de tourner, et mettent le paquet pour essayer de changer la tournure des choses. » L’entreprise a déjà gagné une première bataille en obtenant des députés, en avril, l’exclusion des ustensiles de cuisine de la proposition de loi visant à interdire les PFAS d’ici à 2026. « On est au courant depuis des décennies qu’il ne faut pas mettre de PFAS dans les poêles, surtout qu’il y a des alternatives. Ils n’ont pas su anticiper, et se retrouvent sur la défensive, juge-t-elle. Ils ont gagné du temps, mais on ne les lâchera pas. »





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