Les luttes écologistes de plaidoyer à l’échelle macro menées par de grosses ONG font de l’ombre aux luttes écologistes locales menées par des collectifs d’habitants. Et si on laissait un peu de place pour ces dernières qui incarnent une écologie populaire ?
L’écologie de plaidoyer qui mène à bien certains combats, avec la capacité d’influencer la structure politique ou économique, peut être parfois jugée trop éloignée des réalités locales, ou trop conciliantes avec les institutions. Et si cette écologie laissait de la place à l’écologie populaire menée par des collectifs citoyens, des associations locales ou des militants autonomes (ex : ZAD, collectifs contre les méga-bassines, contre les autoroutes) et où prime l’enracinement local.
Écologie de plaidoyer : et si on laissait la place à l’écologie populaire ?
On ne peut pas leur enlever : Greenpeace, tout comme d’autres ONG, ont mené de très beaux combats. Pour n’en citer que quelques-uns : l’arrêt du projet de pipeline Keystone XL en 2021, la victoire juridique contre Shell, où Greenpeace Pays-Bas et d’autres organisations ont remporté un procès historique, obligeant l’entreprise à réduire ses émissions de CO2, la protection de la forêt du Grand Ours au Canada, qui a permis, après 20 ans de campagne, d’en sanctuariser 85 %, l’étiquetage obligatoire des OGM en 2003, ou la fin légale de la chasse commerciale de la baleine en 1982.
On peut même dire que ces ONG se mouillent : Greenpeace France et d’autres organisations ont mené « l’affaire du siècle” et gagné leur recours contre l’État français, reconnu coupable d’inaction climatique… On pourrait poursuivre encore longuement cette énumération de combats gagnés pour le bien commun par ces associations à qui l’on doit beaucoup.
Pourtant, il y a une sorte de discordance entre, d’un côté les revendications de cette écologie de plaidoyer, et de l’autre, l’embourgeoisement du mouvement et sa complaisance avec la classe politique dirigeante. C’est ainsi que l’ancien chargé de campagne climat de Greenpeace, Clément sénéchal, témoigne dans Frustration magazine :
« Alors que le gouvernement utilisait des méthodes antiterroristes contre les Soulèvements de la Terre, me voilà convié au pot de départ d’un congénère du WWF, sur une péniche huppée proche de l’hôtel de ville de Paris, […] un Spritz offert à la main […] pour réseauter entre notables de l’écologie institutionnelle. »
Il poursuit, après avoir été licencié par le directeur général pour un « tweet-clash » avec François Gemenne, membre du GIEC :
« l’écologie institutionnelle est décidément une vaste comédie où “chacun est dans son rôle” »
Écologie de plaidoyer : écologie complaisante ?
Selon un sondage Euronews-Ipsos, 52 % des électeurs européens considèrent la lutte contre le changement climatique comme une priorité, et 32 % comme une question importante, mais non prioritaire. Pourtant les scores des partis écologistes soient en baisse – par exemple, Europe Écologie Les Verts crédité entre 5 et 8,5 % dans les sondages selon le site touteleurope.eu.
Ce décalage peut s’expliquer par l’absence de proposition écologiste révolutionnaire. Clément Sénéchal fait alors l’hypothèse suivante :
« Si les ONG ne sont plus capables d’exister en dehors d’une forme de collusion implicite avec la classe dominante, c’est parce que leur rejet de toute approche révolutionnaire les prive d’autonomie. […] Pourquoi s’exposer quand on est si bien installé dans le paysage économique et médiatique ? »
Et pour cause : sans parler du récent scandale incriminant l’association WWF qui soutient la traite d’êtres vivants comme l’ours polaire, en 2023, devait se tenir en dictature égyptienne la conférence climat, dans la ville de Charma El cheikh, entre hôtels de luxe, et centre international Lamborghini, grassement offert par l’un des principaux sponsors, Coca Cola (une petite entreprise qui génère environ 2,9 millions de tonnes de déchets plastiques par an et utilise environ 200 000 bouteilles en plastique par minute selon le média indépendant Uniclimat.)
À propos de cette écologie qui se déroule entre mondanité et petits fours, Clément Sénéchal ajoute : « Sur le plan tactique, ils sont contre-productifs : les chargés de plaidoyers dévoilent leurs cartes à une ministre qui n’est présente que pour jauger ses vrais-faux opposants et se préparer d’autant mieux à une éventuelle polémique. […] À l’inverse, les représentants des ONG viennent, quant à eux, chercher des informations sur les intentions du ministère, pour parler à la presse en position d’insider. » Il s’agirait en fait plutôt d’un rituel de pacification entre la classe capitaliste et la classe écologiste au pouvoir, permettant de dépolitiser une éventuelle rébellion.
Des classes populaires pourtant plus écologiques !

En France, les émissions de CO2 des 10% les plus modestes sont d’environ 4,7 tonnes par an, contre 18,4 tonnes pour les 10% les plus aisés. Les classes populaires sont celles qui polluent le moins, et d’autre part, ce sont et ce seront surtout les premières victimes des dégradations environnementales, car surexposés aux risques liés à la pollution, aux catastrophes naturelles et aux effets du changement climatique en raison de leur lieu d’habitation et de leurs conditions de vie précaires.
Les populations pauvres mettent souvent en œuvre des pratiques écologiques par nécessité économique, telles que la réutilisation, la réparation, le prêt et l’économie d’énergie. Ces pratiques, bien qu’elles ne soient pas toujours étiquetées comme écologiques, contribuent à une forme de sobriété.
Les recherches ethnographiques montrent que les personnes les plus pauvres observent attentivement leur environnement naturel et agissent fréquemment pour le défendre, même si ces actions restent souvent invisibles. C’est bien là le problème, ils ne sont pas médiatisés !
Un manque de représentativité des populations modestes

Le problème est qu’on entend peu de personnes aux revenus modestes à la radio ou à la télévision, si ce n’est pour parler de sujets liés au pouvoir d’achat. On entend encore plus rarement des personnes aux revenus modestes parler de leur rapport à l’écologie.
Une étude l’Observatoire des Inégalités montrait ceci : les cadres supérieurs, qui ne constituent que 10 % de la population, occupent une place prépondérante à l’écran, représentant 65 % des personnes visibles. À l’inverse, les classes populaires sont largement sous-représentées : les ouvriers, qui forment 12 % de la population, ne représentent que 2 % des personnes entendues à la télévision.
Cette distorsion s’observe également pour les professions intermédiaires (14 % de la population, 5 % à la télévision) et les employés (15 % de la population, 8 % à la télévision), bien que la série Severance fasse remonter les chiffres. Les retraités, qui constituent un tiers de la population française, sont particulièrement absents des écrans avec seulement 2 % de représentation.
Dans l’ensemble, les catégories supérieures (cadres et chefs d’entreprise) dominent le paysage télévisuel comme ils dominent la société, formant 75 % des intervenants alors qu’elles ne représentent que 28 % de la population.
Unissons-nous pour l’écologie !
L’écologie populaire désigne une forme d’engagement écologiste issue des milieux populaires, ancrée dans les réalités locales, et centrée sur la défense des conditions de vie concrètes des populations face aux atteintes environnementales.
Contrairement à une approche élitiste ou technocratique, elle se concentre sur les impacts directs et quotidiens de l’environnement sur la vie des gens ordinaires, démontrant ainsi que l’écologie peut être vécue et pratiquée à l’échelle locale, sans discours pompeux et cocktail sur une péniche huppée.
On vous donne quelques exemples : il y a Graines Populaires à Bordeaux, une association qui organise depuis juillet 2020 des ateliers de compostage, zéro déchet et végétalisation dans les banlieues et zones rurales défavorisées. Elle compte 400 bénévoles et organise également le Festival de l’écologie populaire à Bordeaux.
Au cœur de Toulouse, c’est une vieille chapelle qui accueille et fédère des dynamiques associatives et militantes. Occupé depuis 1993, cet espace autogéré d’expérimentation sociale, politique et culturelle est en voie d’être acheté collectivement par ses usagers et usagères dans l’objectif de le soustraire définitivement à la spéculation immobilière et pérenniser ainsi un espace au service de la solidarité.
Plus au nord, on retrouve Verdragon à Bagnolet, une Maison de l’écologie populaire qui organise diverses activités écologiques, dont la distribution de paniers d’AMAP, une campagne « Droit de respirer sur la pollution atmosphérique, et des événements liant écologie et culture populaire. Toujours à Bagnolet, le projet 4 Saisons de l’association AJDB dit « made in tiek », transforme des friches en potagers et organise des événements mêlant rap, danse hip-hop, graffiti et ateliers de sensibilisation écologique.
Banlieues climat : merci !
Dans un contexte d’urgence climatique croissante, Banlieues Climat s’impose comme un acteur novateur de la transition écologique. Créée en novembre 2022 par des militants, dont Féris Barkat et le rappeur Sefyu, cette association vise à rendre les enjeux environnementaux accessibles dans les quartiers populaires.
Banlieues Climat forme une nouvelle génération d’ambassadeurs du climat. En octobre 2024, l’association a franchi une étape majeure en inaugurant une « école populaire du climat » à Saint-Ouen.
L’initiative relève un double défi : démocratiser l’écologie et développer une écologie populaire adaptée aux réalités socio-économiques des quartiers défavorisés. Face à la vulnérabilité accrue de ces zones aux effets du changement climatique, Banlieues Climat joue un rôle crucial en établissant un lien entre les politiques environnementales et les populations marginalisées dans ces débats.
De même, les médias indépendants devraient, eux aussi, laisser place à ceux à qui on ne la laisse pas, pour parler à toutes et tous, comme le média blast qui donne le micro au rappeur devenu journaliste-présentateur H-TôNE :
– Maureen Damman
Source image d’en-tête : ©La terre des Vertus
