Bakou (Azerbaïdjan), reportage
« Injustement emprisonné. » Le 20 novembre, une quarantaine de militants ont déployé les portraits clairs-obscurs de défenseuses et défenseurs des droits humains et du climat, incarcérés pour leur combat. Sans pouvoir écrire leur nom sur des pancartes en raison des règles de l’Organisation des Nations unies (ONU), des porte-parole anonymes ont toutefois conté leur histoire.
Comme celle de Molly Wickham, alias Sleydo’. En 2024, la Cour suprême de la Colombie-Britannique l’a condamné pour avoir bloqué la construction d’un gazoduc de 670 km, scindant en deux la forêt de conifères où vit son peuple autochtone Wet’suwet’en, au Canada. Il y a aussi l’histoire d’Alaa Abdel Fattah, informaticien baptisé « l’icône de la révolution de 2011 » pour avoir aidé à précipiter la chute du dictateur égyptien Hosni Moubarak. Ou celle d’Ahmed Mansoor, poète et père de quatre enfants. Défendant la liberté d’information, « essentielle aux prises de décisions justes sur le climat », il croupit dans les geôles des Émirats arabes unis, à l’isolement, depuis plus de sept ans.
Comme celui-ci, des dizaines de happenings politiques s’enchaînent de l’aurore au crépuscule dans les couloirs de la COP29, en Azerbaïdjan. Même le négociateur en chef du sommet, Yalchin Rafiyev, ne peut y échapper. Questionné au sujet des activistes climatiques et journalistes indépendants prisonniers par le régime d’Ilham Aliyev, il botte en touche : « Je ne commente pas les affaires judiciaires en cours. Nous sommes ici pour faire un effort collectif dans l’intérêt de l’humanité et adopter de grandes décisions sur le climat. »
Reste que, même sur l’avancée des négociations, diplomates et observateurs s’accordent en off à déplorer l’incompétence totale de la présidence. Le 21 novembre à l’aube, autrement dit à 37 heures du clap de fin, un brouillon d’accord a été publié par le comité organisateur. Pas trop tôt !
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Réduit de 25 à 10 pages, ce document a été baptisé « Nouvel objectif collectif quantifié » (NCQG). En d’autres termes, il s’agit de la stratégie que les 197 États membres entendent adopter pour financer la lutte contre le changement climatique dans les pays en développement.
Or, à en croire le texte, l’arrivée angélisée des ministres n’a visiblement pas eu l’influence escomptée. Le principal tabou n’étant toujours pas levé : quel sera le montant du chèque à destination des pays les plus vulnérables au changement climatique ? « On est persuadés que des chiffres circulent en coulisses, se désole Gaïa Febvre, du Réseau Action Climat (RAC). La question est de savoir à quel moment les pays du Nord abattront leurs cartes. »
Qui payera la facture ?
Pour l’heure, les négociateurs africains sont parmi les seuls à avoir posé leurs pions sur la table, en réclamant une enveloppe annuelle de 1 300 milliards de dollars (environ 1 200 milliards d’euros). En comparaison, l’actuelle cagnotte fixée en 2009 s’élève à 100 milliards de dollars (95 milliards d’euros). Du côté des pays contributeurs, que sont le Royaume-Uni, les États-Unis, le Canada, la Norvège, l’Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande et la Suisse, le silence est d’or. Pas question de divulguer publiquement le montant jugé acceptable.
Toutefois, d’après Politico, l’Union européenne se fixerait un objectif compris dans une fourchette de 200 à 300 milliards de dollars (189 à 284 milliards d’euros) pour ce fonds. Une « plaisanterie », rétorque la coalition de pays en développement, baptisée le G77+Chine. Les violons sont donc loin d’être accordés.
La partie de poker en cours s’articule autour d’une autre épineuse question : celle de l’élargissement de la base des États participant à injecter de l’argent dans la tirelire. Les contributeurs actuels réclament que les économies émergentes que sont la Chine, la Corée du Sud, les pays du Golfe ou encore Singapour mettent la main à la poche. Seulement, là non plus, le nouveau brouillon n’apporte aucune précision. Preuve que les discussions s’enlisent en coulisses.
« Résultat : d’autres sujets fondamentaux sont comme pris en otages », poursuit Gaïa Febvre. À commencer par l’aspect qualitatif de ce fonds climat. La finance privée y participera-t-elle, au risque que des pays en grande vulnérabilité et donc peu attractifs soient abandonnés au bord du chemin ? Ou bien les subventions seront-elles principalement sous forme de dons — pour éviter d’aggraver la dette des bénéficiaires à coup de prêts ? « De nombreuses options figurent encore dans le texte. À nous de faire en sorte que les bonnes soient sélectionnées. »
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