Champs-sur-Marne (Seine-et-Marne), reportage
« C’est bon, j’ai mis mes habits de droite ! Ça m’aidera à gagner du temps avec la sécurité si jamais ça tourne mal », signale en souriant Paul, étudiant de 21 ans, vêtu d’une chemise blanche, d’un pull gris et d’un long manteau. Mercredi 27 novembre, ses camarades de promo menaient deux actions éclairs — elles n’ont pas duré plus de dix minutes — au restaurant universitaire et dans le grand hall de l’École des Ponts et l’École nationale supérieure de géographie, à Champs-sur-Marne (Seine-et-Marne).
Armés de banderoles et de mégaphones, les apprentis ingénieurs ont dénoncé la présence et l’influence « toxique » de banques et d’entreprises polluantes dans les grandes écoles. D’autres mobilisations, soutenues par l’association écologiste Les Amis de la Terre, ont eu lieu simultanément en Île-de-France, comme aux Mines Paris, à HEC, Science Po Paris et à CentraleSupélec afin d’alerter sur cette mainmise sur les campus.
63 milliards d’euros pour les fossiles
Dans leur viseur : la Société générale, la BNP Paribas, le Crédit agricole et le groupe BCPE (Banque populaire, Caisse d’épargne et Natixis) qu’ils accusent de financer des projets climaticides et de soutenir financièrement le « génocide en cours à Gaza ». Depuis 2020, ces quatre banques ont dépensé 63 milliards d’euros dans l’industrie des énergies fossiles : pétrole, gaz, charbon, oléoducs. « Aucune des conséquences catastrophiques — humaines et écologiques — n’a su arrêter ces investisseurs, qui, poussés par l’appât du gain, sacrifient sans scrupules notre avenir commun », a clamé Benjamin au milieu d’une petite foule d’étudiants intrigués à l’École des Ponts.
En passant, une étudiante ricane : « La prochaine fois, je prendrai un steak végé pour les soutenir ! » Certains spectateurs applaudissent, approuvant le message, mais beaucoup restent de marbre.
Un peu plus tôt ce matin, devant l’une des entrées des Mines Paris, dix étudiants réunis sous la pluie ont, eux, réclamé à leur direction plus de transparence, des engagements climatiques concrets, l’arrêt « du soutien financier à l’expansion pétrogazière », en citant l’exemple du projet de la multinationale TotalEnergies au Mozambique, ainsi qu’aux entreprises d’armement soutenant Israël.
« On sait qu’on s’attaque à un gros poisson. Mais on ne peut pas rester les bras croisés », plaide Basile, arrivé aux Mines il y a quelques mois. De fait, l’affaire n’est pas gagnée. Forums de recrutement, contrats de parrainage, subventions aux associations étudiantes et aux weekend d’intégration, conférences, aides à la recherche et à l’enseignement supérieur… Les banques et les entreprises polluantes « sont partout à l’école. Même dans les instances de gouvernance, expose Lola, étudiante de 22 ans, assise à la cafétéria des Ponts. Quand t’arrives ici, tu t’attends à débarquer dans un milieu académique, mais en fait ce sont elles qui décident du contenu des cours et les intervenants invités. »
Rares sont ceux qui se plaignent
Beaucoup de patrons ou membres d’entreprises siègent au conseil d’administration des grandes écoles, à l’instar des groupes industriels Safran, pour l’aéronautique et la défense, Saint-Gobain, pour la transformation de matériaux, ou encore TotalEnergies, pour le pétrole et le gaz. « Elles influent énormément sur les décisions stratégiques et pédagogiques », pointe Rayane, assis à côté de Lola.
Au-delà de siéger, celles-ci déboursent aussi beaucoup d’argent pour s’acheter les faveurs des élèves, considérés comme l’élite de demain. À l’Institut polytechnique de Paris (Ensta), le bureau des étudiants a ainsi reçu, pour l’année scolaire 2021-2022, 6 000 euros de la Société générale pour organiser des fêtes et des événements étudiants, selon un document obtenu par Reporterre. Un don gracieux renouvelé chaque année depuis, assurent d’anciens étudiants.
« Elles influent énormément sur les décisions pédagogiques »
Face à cette omniprésence, rares sont ceux qui essaient de faire évoluer les choses. « Ici, 95 % des gens ne comprennent pas à quel point ils sont orientés, formatés, dans leur choix professionnel. Et ceux qui savent laissent couler », regrette Lola. « Les écoles d’ingés ne sont pas assez politisées », abonde Rayane.
Malgré tout, ces jeunes collectifs font leur possible pour alerter sur la situation, poussant pour obtenir des rendez-vous avec leur direction — souvent défavorable à leurs idées — ou se mobilisant lors des forums étudiants.
Aux Ponts, pour la première fois de l’histoire de l’établissement, un syndicat est en cours de création. « L’objectif est de peser sur les décisions du conseil d’administration et maintenir un dialogue avec la direction », déroule Rayane. Un collectif a aussi été créé afin de faire venir des entreprises engagées dans la transition écologique sur le campus. Tout cela ne va « pas changer le monde », soupire Lola, « mais au moins on dit qu’on n’est pas d’accord ».
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