Pourquoi les smartphones reconditionnés ne sont pas si écolos


Carros-Le Broc (Alpes-Maritimes), reportage

Le bureau de Barbara est un peu encombré : un ordinateur, une demi-douzaine de chiffons microfibres jaune, orange ou bleu, un spray, des bouteilles de nettoyants, une brosse à dent électrique, des trombones… Ce sont les outils de travail de la jeune femme. Sa mission : nettoyer, dépoussiérer et réparer les centaines de smartphones qui passent par l’atelier de la marque Reborn Europe.

 

Situé dans la zone industrielle de Carros-Le Broc, à 30 kilomètres de Nice, cet atelier — qui ressemble plus à un grand laboratoire qu’à une usine – appartient à DPA Europe. Depuis 2017, l’entreprise reconditionne sur place des smartphones, au rythme de 385 000 unités par an. Forte de son succès, elle envisage de plus que doubler sa surface d’atelier et ses effectifs en 2025 pour devenir « le plus grand site de reconditionnement d’Europe ».

Les appareils, une fois reconditionnés, sont remis sur le marché dans un nouvel emballage, avec une garantie. C’est ce qui les différencie de l’occasion. Aujourd’hui, 30 % des téléphones achetés en France auraient déjà eu une vie avant, selon les chiffres que nous a fournis BackMarket, le géant français du secteur. Une tendance qui ne cesse de se renforcer, avec de plus en plus d’acteurs spécialisés (BackMarket, Recommerce, Certideal…) et l’arrivée des enseignes du neuf (Amazon, Fnac, Darty, Boulanger…)


Batterie, écran, caméra… Cet employé remplace les pièces défectueuses.
© Laurent Carré / Reporterre

Éviter l’extraction de 82 kg de matières premières

 

Chaque Français change de smartphone en moyenne tous les deux à trois ans, constate l’Agence pour la transition écologique (Ademe). Or, 80 % de l’impact environnemental de cet objet connecté est lié à sa fabrication. En achetant un appareil de seconde main, vous faites des économies — de 20 % à plus de 70 %, selon les modèles — mais aussi une bonne action pour la planète. L’Ademe a calculé qu’investir dans un téléphone reconditionné à la place d’un neuf permet, pour chaque année d’utilisation, d’éviter l’extraction de 82 kg de matières premières, l’émission de 25 kg de gaz à effet de serre et la consommation de 20 500 litres d’eau.

Revenons dans les Alpes-Maritimes. L’iPhone que Barbara est en train de chouchouter est d’abord passé par la « salle de charge », une pièce saturée d’écrans et de câbles, dans laquelle 600 à 700 appareils sont vidés de leurs données, testés et chargés en simultané. Il ira ensuite au pôle technique où sa collègue Nathalie vérifiera les performances de la caméra, de l’écran, du micro, du vibreur, de la connectique… Si besoin, il passera par la case réparation où Maxime dévissera la trentaine de vis pour changer la batterie ou toute pièce endommagée. Reborn insiste sur le fait qu’il soumet chaque smartphone à 54 points de contrôle au total. Ces opérations garantissent, en théorie, l’acquisition d’un produit comme neuf ou quasi.


Dans l’atelier de diagnostic, tous les téléphones sont testés un par un : bluetooth, batterie, haut-parleur, écran, réception…
© Laurent Carré / Reporterre

Les trois quarts des appareils commercialisés par Reborn sont de marque Apple. « La valeur résiduelle des iPhone est plus intéressante. Elle baisse plus rapidement pour les modèles Samsung », constate Jean Thibaud, directeur des ventes. La société mise sur les appareils les plus rentables, c’est-à-dire ceux qui peuvent continuer à se vendre à un prix relativement élevé plusieurs années après leur première mise sur le marché.

Smartphones rapatriés en avion depuis les États-Unis

 

Il y a un hic. « Le gisement européen en iPhone n’est pas suffisant, explique Roger‑David Lellouche, le fondateur et dirigeant de Reborn. Environ 60 % des smartphones que nous reconditionnons proviennent des États-Unis où le système du “buyback” est très développé. » Là-bas, les clients Apple achètent très souvent le nouvel iPhone en bénéficiant d’une offre de reprise sur l’ancien. La location avec abonnement est aussi très répandue. Tous les six mois à un an, les utilisateurs rempilent avec un nouveau contrat et un téléphone neuf.

« On profite ainsi d’une énorme source de téléphones via les flottes des grands groupes américains, comme les banques, les assurances, qui changent régulièrement les téléphones de l’ensemble de leurs salariés », ajoute M. Lellouche. Des smartphones rapatriés en avion, est-ce vraiment écolo « L’empreinte carbone reste faible car les téléphones tiennent très peu de place et voyagent sans chargeur et seulement dans du papier bulle », assure le dirigeant.


Depuis 2017, l’entreprise reconditionne 385 000 smartphones par an.
© Laurent Carré / Reporterre

Les responsables de Reborn reconnaissent toutefois que leur modèle économique repose sur l’existence du neuf et ne fonctionne que grâce au fort taux de renouvellement des appareils Apple. C’est l’une des limites pointées par l’Ademe. « Le marché du reconditionné pour être vertueux ne doit pas se baser sur un marché de surconsommation (notamment le marché US) », estime-t-elle dans une étude publiée en 2022.

Impossible de connaître l’origine du téléphone

Ecofone, petit poucet qui vend environ 25 000 smartphones reconditionnés par an, s’approvisionne depuis un an, via un système d’enchères, auprès de la plateforme CompaRecycle, qui met justement en avant le circuit court. Celle-ci noue des partenariats avec divers distributeurs, comme Auchan, Orange, des magasins Fnac ou Darty, etc. qui récupèrent eux-mêmes les vieux portables de leurs clients.

« Aller chercher les centaines de millions de produits qui dorment dans les placards des consommateurs pour les remettre en circulation, c’est le gros challenge », explique le service communication de BackMarket, joint par mail. La plateforme, avec ses plus de 620 reconditionneurs français, a créé un service de reprise en ligne afin que ceux-ci « puissent se sourcer directement auprès des consommateurs ».

Pour Michel Memeteau, le directeur général d’Ekimia, société de reconditionnement située à Aubagne, l’impact carbone reste encore « acceptable » tant qu’on reste dans l’Union européenne. « On essaie de faire de grosses commandes. » Son entreprise, qui vend une cinquantaine de smartphones par mois, se fournit comme beaucoup en Europe de l’Est et, auprès de Foxway, l’un des plus gros reconditionneurs européens, en Estonie. « On a accès à des volumes incroyables de smartphones reconditionnés en très bon état, extrêmement performants. » Sans savoir là non plus de quels pays ils proviennent. Reste à Ekimia à changer le système d’exploitation (voir encadré).


«  Environ 60 % des smartphones que nous reconditionnons proviennent des États-Unis  », dit Roger‑David Lellouche, le fondateur et dirigeant de Reborn.
© Laurent Carré / Reporterre

Pour le consommateur, il est généralement impossible de connaître l’origine du téléphone, quelles pièces détachées ont été changées, d’où elles viennent, s’il s’agit de pièces neuves ou de seconde main. Lors d’une enquête menée en 2020 et 2021, la Répression des fraudes pointait « un certain manque de transparence » quant à la traçabilité des téléphones reconditionnés : « 62 % des professionnels contrôlés étaient dans l’incapacité de fournir les informations relatives à la provenance des produits. »


Or, cela a son importance, et pas seulement pour une question d’impact carbone. « Plus on ajoute d’accessoires [lors de la vente] et plus on change les pièces détachées, plus l’impact du reconditionnement est important », écrit l’Agence. Elle a ainsi calculé qu’en mettant un écran neuf, le coût écologique de l’opération de reconditionnement pouvait augmenter jusqu’à 75 % selon les indicateurs et la technologie d’écran utilisée. Même conséquence négative quand on recoure à une batterie neuve. « Les sociétés locales s’approvisionnant sur le territoire avec des pièces de seconde main et limitant le changement de pièces au maximum sont les plus vertueuses et l’écart est significatif », conclut-elle.

La longévité entravée par l’obsolescence logicielle

Qui dit reconditionné ne dit pas forcément longévité. Ce n’est pas la qualité des réparations qui est remise en question par Michel Memeteau, directeur général de Ekimia, mais l’obsolescence logicielle des smartphones. « On est sur un plateau technologique depuis 2018. Techniquement, il n’y a aucune innovation sur les smartphones qui pourrait justifier d’en changer », explique l’ingénieur, graphique à l’appui.

Mais si l’utilisateur veut accéder à l’application de sa banque, de la SNCF, etc., il a besoin d’un téléphone avec un système à jour. C’est ce qui le pousse souvent à investir dans un nouvel appareil. Voilà pourquoi Nicolas Chevillot, dirigeant d’Ecofone, ne vend que des téléphones qui ont au maximum six ans.

Michel Memeteau déplore que les consommateurs ne soient pas mieux informés de cette limite. « Les gens qui cherchent un smartphone reconditionné regardent le modèle, le prix, s’il a un grade A ou B [état d’usure]… Ils ne se demandent pas ce qu’il va se passer dans 3 ou 5 ans quand il n’y aura plus de mises à jour proposées par le constructeur. »

Il conseille de s’interroger : « Est-ce que je suis maître du remplacement du logiciel du système ? » Ainsi, Ekimia propose uniquement des appareils reconditionnés sur lesquels elle a installé eOS Android. Ce système d’exploitation libre est issu d’un « projet d’intérêt public à but non lucratif » créé en 2018 par eFoundation. Il permet de se libérer des constructeurs.


«  Apple, c’est la marque numéro 1 à ne pas acheter si on se soucie un peu d’environnement  », juge Michel Memeteau.
© Laurent Carré / Reporterre

Aujourd’hui, 181 modèles de smartphones sont compatibles avec eOS, notamment les marques Motorola, Google, Samsung, OnePlus et Fairphone. D’autres systèmes d’exploitation libres existent, comme LineageOS ou encore Graphene OS.

Certains constructeurs sont à éviter, juge Michel Memeteau, car il est impossible d’installer un système libre sur leurs appareils. « Apple, c’est la marque numéro 1 à ne pas acheter si on se soucie un peu d’environnement. » Même chose pour Asus, Huawei ou encore Crosscall : « Quand ils arrêtent de faire des mises à jour, leurs smartphones deviennent inutilisables. »



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