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À Nantes, « on va remplacer les Roms par des grenouilles »


Nantes (Loire-Atlantique), reportage

« Je ne veux pas partir », déplore Elisei, 21 ans. Il a grandi sur ce terrain occupé depuis treize ans par une dizaine de familles. À l’époque, c’était le seul bidonville du quartier. Depuis, quatre autres espaces d’habitation ont vu le jour, à moins d’une centaine de mètres du périphérique est de Nantes.

Avec une centaine de personnes, Elisei est venu manifester son opposition à l’expulsion devant la mairie de la ville, le 22 mars dernier. En cause : un projet d’urbanisation dirigé par la mairie et la métropole de la ZAC (zone d’aménagement concerté) Doulon-Gohards.

Les bidonvilles sont situés sur des terrains où la ville veut mettre en place des espaces verts.
© Karoll Petit / Reporterre

Dans leur combat, les familles roms sont épaulées par les associations Roata et Sauvons les Gohards. La première, créée en 2012, accompagne plusieurs habitants ces bidonvilles dans la reconnaissance de leurs droits administratifs ; l’autre lutte contre le projet urbain Doulon-Gohards. Les deux sujets sont liés : pour construire ce quartier, la métropole doit « compenser » les destructions en naturalisant des terrains. En l’occurrence, ceux occupés par les familles roms.

Artificialiser les sols pour construire un écoquartier

Le projet d’urbanisation de Doulon-Gohards comporte un « écoquartier » qui verra le jour d’ici 2035. Un chantier massif : sur les 180 hectares de la zone, 25 à 50 hectares de terres doivent être artificialisés, les autres hectares sont des zones humides. L’objectif est notamment de construire 2 700 habitations, que Nantes Métropole présente comme une solution à la crise du logement.

La zone, labellisée « écoquartier » malgré l’artificialisation de 14 à 27 % du terrain, est présentée comme une « ville du quart d’heure » : services et habitations sont proches, limitant donc l’usage des voitures.

Philippe Barbo est président de l’association Roata, qui vient en aide aux personnes qui habitent ici (comme Terezia, à gauche).
© Karoll Petit / Reporterre

Philippe Barbo, fondateur de l’association Roata, s’était rendu aux ateliers de concertation qui ont précédé le lancement du projet. Il y avait exposé la situation des familles roms vivant dans le périmètre de la ZAC et demandé qu’elles soient prises en compte. Demandé aussi « que, quand il y aura la ZAC, on en profite pour imaginer ne serait-ce que 1 % de logement très social, par exemple quatre terrains pour toutes les familles », raconte-t-il. « La proposition n’a pas été retenue, on m’a rigolé au nez, et depuis 2015 le projet a été acté sans tenir compte de ces familles. »

À l’époque, seul un terrain était occupé, mais depuis, la politique de la « patate chaude » entre Nantes et des villes alentour a fait son effet. Aucune d’elles ne souhaitant les accueillir, elles sont expulsées vers d’autres villes, qui les expulsent à leur tour. Un cycle qui a mené à l’installation d’une continuité de petits camps accueillant 350 personnes à Doulon et qui n’avaient jusqu’à présent pas été inquiétés.

De nombreux recours juridiques contre le projet de ZAC

« On ne peut pas partir d’ici, nos enfants sont scolarisés là, on travaille, on connaît tout le monde. On ne veut pas partir sans même savoir où », s’inquiète Terezia, qui habite dans l’un des bidonvilles, situé entre le périphérique, une casse automobile et une usine de recyclage de déchets routiers.

Les familles l’ont aménagé pour le rendre plus vivable : allées en gravier, cabanes faisant office de pièces de vie adossées aux caravanes. Les autres bidonvilles, plus récents, sont moins équipés. L’un d’eux est situé directement au bord de la route, les habitants doivent enjamber les fossés pour se rendre dans les habitations.

Les familles ont aménagé l’espace pour le rendre plus vivable en construisant des cabanes faisant office de pièces de vie adossées aux caravanes.
© Karoll Petit / Reporterre

Contre le projet d’urbanisation, la fronde s’organise depuis une dizaine d’années. Riverains et militants continuent de dénoncer un projet d’un autre temps et la destruction des anciennes terres maraîchères. Sauvons les Gohards a multiplié les recours juridiques contre le projet de ZAC, notamment sur la question des zones humides, mais aussi des espèces protégées dont les habitats seront endommagés par les travaux.

« On va remplacer les Roms par des grenouilles, car ces dernières sont protégées »

En janvier, l’association a demandé l’annulation de l’arrêté préfectoral délivrant l’autorisation environnementale des travaux auprès du tribunal administratif, qui leur a donné raison, sans arrêter les travaux. À la place, le tribunal a demandé d’accélérer la construction des « mesures compensatoires », qui ne devaient pas être faites avant 2025.

Terezia et sa famille sont allés manifester pour la premiere fois de leur vie le 22 mars devant la mairie de Nantes pour réclamer une solution.
© Karoll Petit / Reporterre

Ce sont ces mesures de renaturalisation qui sont à l’origine de la demande d’expulsion. « Les promoteurs de la ZAC font un projet pour construire des logements. Pour construire ces logements, ils doivent prendre des mesures compensatoires, pour faire ces mesures compensatoires, ils vont virer des Roms qui vivent sur les terrains », résume Esther Le Cordier de Sauvons les Gohards.

« Pas d’expulsions sans solutions »

« On rigole, nous. On nous dit qu’on va remplacer les Roms par des grenouilles, car, contrairement aux Roms, les grenouilles sont protégées », dit, amer, Philippe Barbo. Présent au rassemblement du 22 mars, il a fait partie de la délégation reçue par la mairie le même jour avec trois représentants des bidonvilles concernés, pour demander des garanties auprès des pouvoirs publics.

Parmi les sources d’inquiétudes de la communauté rom du quartier de Doulon, la scolarité des enfants en cas d’expulsion.
© Karoll Petit / Reporterre

« On a eu une garantie verbale, et, c’est nouveau, qu’il n’y aurait pas d’expulsions avant qu’il y ait un diagnostic auprès des familles », explique le créateur de Roata. « C’est la première fois qu’on entend “pas d’expulsions sans solutions” de la part de la mairie. C’est ce qu’on demande depuis dix ans ! » Au moins, l’expulsion n’interviendra pas dans les semaines qui viennent.

Des propositions très incertaines pour les familles roms

Quelles sont les solutions proposées ? Simon Citeau, adjoint du quartier Doulon-Bottière, évoque la mise à disposition de deux terrains d’insertion temporaire (équipés de mobil-homes) et d’un terrain de stabilisation (destiné à accueillir des caravanes). Ces terrains seraient aménagés par la mairie, qui en serait propriétaire et seraient situés, selon Simon Citeau, dans l’aire des 180 ha de la ZAC.

Lire aussi : « Il faut nous sortir de là » : les aires d’accueil des gens du voyage, un enfer sonore et sanitaire

Cependant, à ce jour, l’élu ne peut pas donner ni leur emplacement, ni la date de leur mise à disposition. Il faut dire qu’ils n’existent pas sur les plans actuels du projet et seule une délibération de Nantes Métropole, datant de mars 2022, fait état d’un terrain d’insertion.

350 personnes habitent dans cette zone et sont menacés d’expulsion depuis le mois de février.
© Karoll Petit / Reporterre

Autres solutions mises sur la table par la mairie, selon Simon Citeau : la possibilité de proposer du logement social à certaines familles et le lancement de démarches pour trouver du foncier dans la métropole pour accueillir des familles.

La mairie renvoie la balle à l’État

Selon l’élu, ces propositions de solution ne sont pas gravées dans le marbre, car « il y a un enjeu de travailler avec les familles, mais il y a aussi l’enjeu de travailler avec les partenaires que sont le conseil départemental et l’État. On ne peut rien activer sans les moyens et l’action de l’État. Si on n’arrive pas à avancer avec ces acteurs, on ne peut pas engager une réflexion avec les familles ».

Pour ces dernières, « pas d’expulsions sans solutions » est une avancée, mais cela implique au minimum de devoir partir même si c’est pour demeurer dans le périmètre de la ZAC, ce qui est déjà un crève-cœur.

Todor Elefa, devant sa maison. Comme les autres, elle craint d’être expulsée sans proposition adéquate de relogement.
© Karoll Petit / Reporterre

Certaines souhaitent pouvoir rester sur ces terrains et qu’ils soient aménagés – être reliées à l’eau et à l’électricité – pour vivre dans de meilleures conditions. Ces dernières ont les moyens et la volonté de payer les factures qui iraient avec.

« Les espaces verts, ils restent à leur place, et nous à la nôtre, c’est mieux. Les espaces verts, c’est pour les chiens, on n’est pas des chiens, on est des gens, se désole Terezia. Comment une mère peut expliquer à sa petite qu’elle va être expulsée pour faire des espaces verts ? C’est très mauvais. »



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