• sam. Mai 18th, 2024

« Les institutions européennes ne sont pas pourries, mais ceux qui les dirigent… »


Il aurait pu choisir d’immortaliser dans sa bobine le démontage du McDonald’s de Millau ou les séjours en prison du célèbre faucheur d’OGM. À la place, le cinéaste Antoine Raimbault a choisi de raconter un épisode bien plus complexe et méconnu de la vie du syndicaliste José Bové.

« Une affaire de principe », actuellement au cinéma, plonge les spectateurs dans le labyrinthe de couloirs qu’est le Parlement européen. Nous sommes alors en 2012, et le commissaire à la santé vient d’être mis à la porte, alors qu’il préparait une directive sur le tabac.

Face à l’opacité de l’affaire, l’eurodéputé — interprété par Bouli Lanners — décide de mener l’enquête. Il découvre alors un vaste complot, impliquant les plus grandes figures de l’Union européenne… José Bové raconte à Reporterre la genèse de ce film, tiré de faits réels.


Reporterre — L’incarnation de José Bové au grand écran, voilà qui est inattendu. Racontez-nous comment est né ce projet ?

José Bové — Au départ, Antoine Raimbault cherchait à tourner un film sur la corruption et les conflits d’intérêts des multinationales ayant financé Interpol [l’Organisation internationale de police criminelle]. Seulement, il y avait tellement de sociétés mouillées dans cette affaire que ça en devenait illisible.

Toutefois, en épluchant tous les éléments, il est tombé sur mon bouquin paru en 2015, Hold up à Bruxelles. Dans un chapitre, j’y détaillais l’affaire John Dalli. Ce commissaire à la santé avait été limogé du jour au lendemain, en 2012, accusé à tort de corruption en lien avec le lobby du tabac.

Antoine Raimbault et son coréalisateur sont alors venus passer deux jours à la maison. Il y avait aussi mon ancien assistant, Jean-Marc Desfilhes. On leur a détaillé l’histoire, conté quelques anecdotes et ils ont commencé à travailler le scénario et à réfléchir aux acteurs.


L’acteur belge Bouli Lanners a finalement décroché votre rôle. Il interprète un José Bové pondéré, en rupture avec l’image d’Épinal du faucheur d’OGM.

Oui, et pourtant je m’y retrouve bien. Ce film cherche justement à montrer qu’il faut utiliser les outils adéquats et qu’il existe des façons complémentaires de mener des bagarres. La PAC, les OGM, le libre-échange… Bien que les combats restent les mêmes, le Parlement européen n’est ni un champ d’OGM, ni un fast-food à démonter.

José Bové, interprété par Bouli Lanners, a été candidat à la présidentielle de 2007.
© Pascal Chantier

Avant que ne débute cette affaire John Dalli, vous vous étiez battu contre ce commissaire européen, notamment au sujet des OGM. Il était un adversaire politique. Pourquoi avoir pris sa défense si vite, alors même que vous n’aviez pas la preuve de son innocence ?

Le nom du film est révélateur. J’ai affronté John Dalli à de multiples reprises sur les OGM, l’agence sanitaire des aliments ou encore les additifs alimentaires. En revanche, sur cette directive sur le tabac, il était archi déterminé. D’autant que son père est mort du cancer du poumon, celui des fumeurs.

« Il y avait un faisceau d’indices pour soupçonner un coup monté »

Alors quand il a été foutu dehors en une demi-heure, j’ai compris que quelque chose clochait. Dès le lendemain, en conférence de presse, la porte-parole de la Commission a déclaré qu’il avait demandé 60 millions d’euros au lobby du tabac. Avant d’ajouter que le dossier de l’enquête, menée par l’organe de lutte anti-fraude, avait été transmis à la justice de Malte… et qu’il n’était donc plus consultable.

Autant dire qu’il y avait un faisceau d’indices pour soupçonner un coup monté, potentiellement par les multinationales du tabac. Alors même si John Dalli n’était pas de mon bord — et c’est rien de le dire, j’ai commencé à enquêter pour lever le voile sur cette affaire.


Dans une scène, vous apparaissez à la cantine du Parlement en pleine discussion avec d’autres députés, y compris de droite, pour tenter de créer des alliances. Ce goût du compromis est-il fidèle à la réalité ?

Bien sûr. Au Parlement européen, il n’y a pas de blocs droite-gauche. Sur chaque texte, quel que soit le sujet, il faut être capable de construire une majorité avec trois ou quatre groupes politiques. Des coalitions se forment et se déforment constamment.

À ce moment-là, la présidente allemande de la commission du contrôle budgétaire, Inge Gräßle nous a été d’une grande aide. Elle est pourtant membre du PPE, un parti de droite. Les dynamiques au sein du Parlement européen sont vraiment différentes de celles que l’on peut observer à l’Assemblée nationale.

Dans « Une affaire de principe », J. Bové enquête sur une affaire de corruption au sommet de l’UE.
© Pascal Chantier

Dans un autre passage, vous dérobez un document top secret. La scène semble tout droit tirée d’un film d’espionnage. Est-ce vrai de A à Z ?

[Rires] J’aurais aimé. À vrai dire, j’ai tout fait pour. Ce jour-là, Jean-Marc, mon assistant interprété par Thomas VDB, était au pied du bâtiment. Il poireautait sous la flotte en attendant que le document tombe du ciel.

Malheureusement, en arrivant dans la salle sous surveillance, j’ai compris que la fenêtre ne pouvait pas s’ouvrir. Je n’ai donc pu lui jeter. Là-dessus, le cinéaste a été gentil. Il m’a dit : « Dans ce cas-là, ne t’inquiète pas. La fiction va venger le réel, et ton personnage parviendra à accomplir cette mission. »


Votre personnage évoque aussi ses passages en prison, concédant que le système carcéral l’a usé. Quels souvenirs gardez-vous de ces mois passés derrière les barreaux ?

Honnêtement, il a un peu forcé le trait. Il y a une petite digression psychologique. Politiquement, je savais pourquoi j’allais en prison. L’incarcération faisait elle-même partie de l’action. Alors ça n’a jamais été difficile à vivre. Ce n’était pas insupportable, je le vivais de manière positive.

Aujourd’hui, je ne sais pas si j’y retournerais aussi facilement qu’avant. C’est peut-être une question d’âge. Quoi qu’il en soit, je ne suis plus impliqué dans un mouvement qui obligerait la justice à m’incarcérer.


Votre ancien compagnon de route, Christian Roqueirol a récemment déclaré à votre égard, dans les colonnes du Midi-Libre : « Plus d’antimilitarisme, pas un mot sur Gaza… mais soutenir le PS, oui ! Il est passé de Bakounine à Delga. » Qu’en pensez-vous ? Avez-vous perdu votre radicalité ?

En général, je ne commente pas ce que les gens disent. Ça n’a pas beaucoup d’intérêt, chacun a sa liberté d’expression. Quoi qu’il en soit, je pense que les actes que j’ai posés sur les différents sujets auxquels il fait référence me dispensent de justifications.


Et concernant votre soutien à Carole Delga, fervente défenseuse du projet d’autoroute A69 ?

Libre aux gens de se remémorer les événements ! Aux dernières élections régionales, on a fait un collectif dans lequel on a rappelé notre opposition à l’allongement de la ligne LGV entre Toulouse et Bordeaux, et notre opposition à l’autoroute A69.

J’avais même demandé que soit organisé un référendum au niveau des territoires concernés pour que les habitants puissent s’exprimer. Ça n’a pas été pris en compte, mais mes déclarations n’ont pas changé d’un millimètre depuis. Mon opposition reste la même qu’elle a toujours été.

Bouli Lanners, dans le rôle de José Bové, et Thomas VDB, dans celui de son assistant.
© Pascal Chantier

Alors que les élections européennes auront lieu le 9 juin, Une affaire de principe décrit des institutions corrompues jusqu’au sommet. Croyez-vous encore en l’Union européenne ?

Plus que jamais. Ce ne sont pas les institutions européennes qui sont pourries, mais les gens qui les dirigent. José Manuel Barroso, l’ancien président de la Commission. Giovanni Kessler, autrefois à la tête de l’Office européen de la lutte antifraude (Olaf). Michel Petite, à la fois lobbyiste de Philip Morris et chef du comité d’équipe pour les questions de conflits d’intérêts de la Commission européenne. Tous ces gens sont d’ailleurs aujourd’hui poursuivis.

Et ce n’est pas la seule affaire. D’autres enquêtes sont en cours pour des soupçons de tentatives de corruption : le Rassemblement national avec la Russie, l’AfD — parti d’extrême droite allemand — avec la Chine. En décembre 2022, il y a aussi eu le « Qatargate », impliquant une vice-présidente du Parlement. Il s’agit là de personnes utilisant les institutions pour déstabiliser.

Or, ce film démontre que les élus ne sont pas juste des personnes assises derrière leur bureau pour voter. Ils peuvent faire bouger les lignes. Seulement, pour cela, les électeurs doivent se rendre aux urnes et élire des personnes prêtes à aller à la castagne dans les instances.


Douze ans après le début de l’affaire, le 22 avril, le tribunal de Bruxelles a jugé en appel l’ancien directeur de l’Olaf. À peine sorti du cinéma, les spectateurs peuvent ainsi assister à la suite de l’histoire. Un hasard de calendrier ?

[Rires] On aurait été sacrément balèze si nous étions parvenus à dicter le calendrier de la justice belge. Non plus sérieusement, l’an passé, Giovanni Kessler, l’ex-patron de l’Olaf, a été condamné en première instance à un an de prison avec sursis. Des avocats se sont battus cinq ou six ans pour faire tomber son immunité européenne.

Et là, le 22 avril, avait lieu la première journée de l’audience en appel. Or, à la surprise générale, il a chargé Barroso. Si ça se confirme, ça signifie que l’ancien président de la Commission européenne a complètement enfreint les règles puisqu’il avait interdiction d’entrer en contact avec l’Olaf sur le moindre dossier que ce soit. Alors qui sait, on peut peut-être espérer une convocation de Barroso au tribunal d’ici deux ou trois ans. Ça serait une très bonne sortie…



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